LE LIVRE
« J’occupe, dans l’université française, mais aussi à un niveau plus international, la place singulière d’une “intellectuelle critique” comme disait Edward Said à qui je dois tant, d’une féministe décoloniale et d’une juive non sioniste. Il y a longtemps qu’on me presse de dire comment j’en suis arrivée là.
Entre témoignage et élaboration théorique, j’ai voulu raconter comment, fille de réfugiés juifs d’Europe centrale née au tout début de la guerre, dans un milieu à la fois croyant et de gauche, je suis devenue sujet autonome, pensant et agissant sans jamais rompre avec la tradition qui m’avait été inculquée. La démarche que j’adopte n’est pas chronologique, mais suit plutôt les grandes scansions de cette histoire à la fois personnelle et intellectuelle, d’où le versant privé n’est jamais absent, car, comme nous disions dans les années 1970 “le privé est politique”. Je pars donc de mon engagement féministe, au tout début des années 1970, que j’ai vécu comme une entrée en résistance qui n’excluait pas d’autre engagements parallèles. J’enseignais alors comme jeune assistante à l’université de Nanterre. Il m’a paru important de rappeler toute la richesse du bouillonnement d’idées de cette période, alors qu’aujourd’hui on tend à la réduire à la “révolution des mœurs” et, pire, à la “libération sexuelle”. Je montre ensuite comment j’en suis venue plus tard, à propos de la question de l’islam, à mettre en cause le féminisme dominant. Ce n’est qu’après que j’en viens à mon histoire de survivante du génocide des juifs d’Europe et d’“exilée permanente” qui a aiguisé à l’extrême ma conscience critique, mon sentiment de ne jamais “en être”, et m’a rendue tellement sensible à la colonie et à la race. La rencontre avec la Palestine a pour moi été centrale : elle m’a ouverte au monde arabe et plus généralement au Sud global. Mais toute l’énergie que j’ai pu déployer dans l’espoir d’une “solution, juste et durable” ont été vains, et c’est sur la perte de cette illusion que je termine. »
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L'AUTEURE
Sonia Dayan-Herzbrun est professeur émérite en sociologie politique et en études féministes à l’université de Paris. Auteure de nombreux ouvrages et articles, elle dirige la revue Tumultes et collabore régulièrement au journal en ligne En attendant Nadeau dont elle est membre du comité de rédaction. Elle est également membre de l’Association internationale des Sociologues de Langue française (AISLF) et de la Caribbean Philosophical Association, qui lui a décerné en 2016 le Prix Frantz Fanon pour l’ensemble de son œuvre et de sa carrière. Ses premiers travaux ont porté sur le rapport entre mythe et mémoire à propos de l’histoire du mouvement ouvrier. Ses recherches portent maintenant d’une part sur l’agir politique des femmes au Moyen-Orient, de l’autre sur l’introduction du paradigme décolonial dans les sciences sociales.
Les médias en parlent
Le Monde diplomatique - janvier 2023
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