LE LIVRE
Esther, ma mère, nous montrait parfois quelques menus objets ayant appartenu à cette grand-mère que l’on avait pas connue : un fin poudrier en or laqué noir ; deux montres de sac en argent s’enfermant dans leur étui, recouvert de cuir brun pour l’une et de minuscules débris de coquille d’œuf pour l’autre ; une « rivière de diamants » – de simples pierres du Rhin montées sur argent ; deux petites « broches nœud » en or blanc serties de brillants, destinées à orner l’extrémité des bretelles des robes. Le seul bijou hérité de sa mère qu’Esther portait fréquemment était un bracelet manchette russe ou oriental en argent, orné de cabochons filigranés et d’un merveilleux fermoir marqueté de pierres vertes transparentes.
« J’adorais ma mère », glissait immanquablement Esther quand elle évoquait son enfance ou son adolescence. Éléonore était née à Kiev en 1892. C’était une ravissante petite femme, menue mais faite au tour, un tanagra... un tanagra... ; elle avait un charme, un « je ne sais quoi », qui séduisait tous ceux qui la côtoyaient ; elle était très élégante, elle portait des chapeaux cloches qu’elle inclinait sur le côté ; elle fumait des cigarettes russes dont elle parfumait légèrement le long filtre en carton ; elle traînait ses filles dans les musées, les théâtres et les salles de concert ; elle était audacieuse, capable de surmonter des obstacles apparemment insurmontables ; elle aimait ses enfants avec une exceptionnelle passion ; elle était révoltée, tout la révoltait... C’était une aventurière. Et un rat d’hôtel.
L'AUTEURE
Caroline Oudin-Bastide est docteure en histoire, spécialiste des sociétés esclavagistes des Antilles. Elle a notamment publié Travail, capitalisme et société esclavagiste (La Découverte, 2005). Elle est la petite-fille d’Éléonore Libermann.